Emeutes de 2009 dans le Xinjiang : «Une personne arrêtée ne m’a plus jamais donné de nouvelles»

Témoignage
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Dix ans après les rixes interethniques meurtrières qui ont eu lieu dans la capitale régionale Ürümqi, au nord-ouest de la Chine, trois Ouïghours présents sur place à l’époque racontent la manière dont ils ont perçu ces troubles.

 

C’était il y a dix ans, le 5 juillet 2009. De violentes émeutes éclatent au nord-ouest de la Chine, dans la région du Xinjiang, à Ürümqi. Deux camps s’y affrontent : les Hans, la majorité ethnique en Chine, d’un côté, et les Ouïghours, une minorité musulmane turcophone, de l’autre. Selon l’agence de presse officielle chinoise, le bilan s’élève à 197 morts, des Hans en grande majorité, et près de 2000 blessés. La violence de la riposte gouvernementale est passée sous silence. Entre persécution et disparitions forcées, trois Ouïghours présents lors des événements témoignent. Pour leur sécurité, ils ont choisi des noms d’emprunt. 

Ahmat : commerçant


«Le 25 juin 2009, des Hans ont attaqué et tué des Ouïghours à Shaoguan. Les vidéos ont circulé sur la messagerie instantanée QQ. En les regardant, beaucoup de Ouïghours ont manifesté à Urumqi. Dans l’après-midi du 5 juillet 2009, je suis allé sur la place du Peuple pour protester contre le gouvernement chinois. Dans le quartier de Nanmen, la police chinoise nous a rapidement bloqués le passage et jeté des grenades lacrymogènes. J’ai vu un policier tirer à balles réelles sur un manifestant ouïghour. Plus loin, dans le coin de Shanxixia, j’ai appris que la police chinoise tirait sur les manifestants. Je n’aurais jamais imaginé ça. 

«Des voitures ont été brûlées, des commerces saccagés. Le lendemain, la police et l’armée ont quadrillé toute la ville. Des Ouïghours ont été interpellées, parfois arbitrairement. Je connaissais une personne qui a été arrêtée le soir des émeutes qui ne m’a plus jamais donné signe de vie. J’ai pu voir de ma fenêtre des Hans s’en prendre à des Ouïghours à coups de barres de fer. Je les ai entendus crier "A mort les Ouïghours !". La police chinoise a fermé les yeux. Le 5 juillet 2009 a accentué les discriminations que nous subissons depuis que la Chine est arrivée sur notre territoire en 1949.»

Gulnur : propriétaire d’une boutique de mercerie

«Lorsque les gens se sont rassemblés le 5 juillet 2009 pour manifester, je me trouvais dans la "tour Rebiya Kadeer" [figure militante des Ouïghours, exilée aux Etats-Unis, ndlr] où je travaillais. Je me suis dirigé du côté de Nanmen après avoir entendu que des personnes allaient y protester. Lorsque je suis arrivée, j’ai vu la police chinoise ouvrir le feu sur des manifestants. Du sang coulait partout. Je suis donc immédiatement rentrée chez moi. Durant la soirée, j’ai vu de ma fenêtre des policiers habillés en civil procéder à de violentes interpellations. Ils contrôlaient tout le monde par peur que les émeutes ne s’étendent dans toute la région du Xinjiang. Le fils de mes voisins, 22 ans, a été arrêté ce soir-là en rentrant du travail. Il n’avait pas participé à la manifestation. Il est mort en prison en 2010 sans que ses parents n’aient pu savoir ce qui lui était réellement arrivé. Après ces émeutes, le niveau d’insécurité et de persécution des Ouïghours n’a fait qu’augmenter. Finalement mon mari et moi avons décidé de quitter le Turkestan en 2010 pour venir en France.»


Dilber : étudiante

«Je n’ai pas participé à la manifestation du 5 juillet 2009 mais j’étais à Urumqi ce jour-là. Étudiante à l’époque en France, j’étais revenue au Turkestan oriental car j’avais été invitée au mariage d’un ami. Tout le monde parlait des vidéos dans lesquelles des Hans avaient attaqué des Ouïghours dans le sud-est de la Chine. Je me souviens avoir vu des camions de l’armée. Quand les premiers heurts ont éclaté, mes cousines et moi sommes restées confinées à l’intérieur du restaurant où avait lieu la cérémonie. A 18 heures, j’ai entendu dire que l’armée s’était retirée. La situation a commencé à empirer alors que tout aurait pu passer sous contrôle. Est-ce qu’on a laissé faire ? 

«Ensuite tout a dégénéré. L’électricité a été coupée. J’ai entendu des tirs de mitraillettes et des hélicoptères survoler la ville. Quand le calme est revenu, tout était abîmé : vitres cassées, magasins détruits, véhicules carbonisés. Deux semaines plus tard, l’armée était là et des chars étaient postés en ville. Depuis les émeutes de 2009, c’est comme si la ville et la région vivaient sous le coup d’une loi martiale. Beaucoup de gens disparaissent.»

Valentin Cebron

La source: liberation.fr

Les événements

Association des Ouïghours de France