Chine : les émeutes du Xinjiang en 2009, un tournant pour les Ouïghours

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Il y a exactement dix ans, des heurts sanglants interethniques éclataient à Ürümqi, la capitale régionale. Retour sur ces événements qui marquent le début de la tragédie que subit cette minorité musulmane.

 

C’est une journée aussi symbolique que meurtrière pour la Chine. Surtout pour la population ouïghoure, une minorité musulmane turcophone installée dans la région du Xinjiang, dans le nord-ouest du pays. Le 5 juillet 2009 marque un point de non-retour pour cette communauté, qui vit depuis une descente aux enfers. Ce jour-là, de violentes émeutes opposant Ouïghours et Hans – le groupe ethnique chinois majoritaire –, éclatent à Ürümqi, la capitale régionale. Un bilan officiel, communiqué par Pékin, fait état de 197 morts dont une grande majorité de Hans, quelque 2 000 blessés et des milliers d’arrestations. «Les relations interethniques dans le Xinjiang n’ont plus jamais été les mêmes depuis lors. Le sentiment négatif des Hans à l’égard des Ouïghours s’est considérablement accru», constate Adrian Zenz, un chercheur indépendant allemand qui a notamment contribué à la découverte des «camps de rééducation» dans la région où un musulman sur six serait en détention.

Pour comprendre le motif de ces rixes mortelles survenues en 2009, il faut descendre dans la province du Guangdong, à Shaoguan, dans le sud-est du pays. A cette époque, environ 800 Ouïghours y ont été envoyés par le gouvernement pour renforcer la main-d’œuvre d’une usine de jouets. Dans la nuit du 25 au 26 juin 2009, les ouvriers ouïghours sont attaqués par leurs homologues hans à la suite d’une rumeur d’un viol qui aurait été commis par plusieurs Ouïghours sur une Han. Au moins deux Ouïghours sont tués. Des vidéos de lynchage sont vite relayées sur les réseaux sociaux (Facebook, la messagerie instantanée QQ) et suscitent l’indignation de la communauté musulmane dans le Xinjiang. La colère est d’autant plus forte «qu’on ne cherche pas vraiment de coupable du côté des autorités locales», observe Thierry Kellner, maître de conférences à l’université libre de Bruxelles et auteur d’études sur la géopolitique de l’Asie centrale.

Cause profonde

Pour protester contre ces faits, entre 1 000 et 3 000 Ouïghours se réunissent le 5 juillet sur la place du Peuple à Ürümqi en fin d’après-midi. Ce qui se passe ensuite fait l’objet de récits divergents, à partir des premiers signes de violence dans la manifestation. Côté Ouïghours, on justifie ces actes par la réaction de la police, jugée disproportionnée, qui n’a pas hésité à tirer à balles réelles pour disperser la foule. Mais pour Pékin, ces émeutes ont été fomentées depuis l’étranger. On pointe du doigt la dissidente Rebiya Kadeer, exilée aux Etats-Unis et présidente du Congrès mondial des Ouïghours, une association basée à Munich qui «représente l’intérêt général du peuple ouïghour à la fois du Turkestan oriental [Xinjiang, ndlr] et de sa diaspora».

Une chose est sûre, la situation a dégénéré ce soir-là : des Hans tabassés, parfois à mort, des véhicules brûlés, des commerces mis à sac, une ville sens dessus dessous. Mais selon Adrian Zenz, la cause profonde de ces émeutes prend racine ailleurs : «Le sentiment d’être traités comme des citoyens de seconde zone, de ne pas avoir les mêmes droits que les Hans et l’absence de véritables libertés culturelles et religieuses.» Un ressentiment croissant depuis l’arrivée des troupes maoïstes en 1949 sur ce territoire (ex-République du Turkestan oriental). «Cette politique de colonisation humaine du Xinjiang n’est pas nouvelle : elle remonte aux années 50. Que la Chine souhaite la renforcer pour noyer la communauté ouïghoure n’est pas très étonnant. Elle en a les moyens car les Ouïghours ne sont que 12 millions», pointe le sinologue Jean-Pierre Cabestan.

«Le début de la fin»

La réaction vengeresse des Hans le surlendemain, le mardi 7 juillet, est tout aussi extrême. Armés de barres de fer ou de machettes, ils descendent dans les quartiers ouïghours pour en découdre. Une «ratonnade massive», selon Thierry Kellner, dont le nombre exact de victimes ouïghoures demeure inconnu. Seules les images de violences commises, deux jours auparavant, par des Ouïghours sur des Hans ont tourné en boucle sur les chaînes de télévision nationales. Pendant cette période, les autorités chinoises ont par ailleurs bloqué le réseau internet de la région.

A partir des émeutes de 2009, le gouvernement chinois n’a d’ailleurs eu de cesse que de renforcer sa politique sécuritaire dans la région autonome du Xinjiang, peuplée de 23 millions d’habitants. Une politique surtout répressive à l’égard des 12 millions d’Ouïghours et autres minorités ethniques ou religieuses. Des chiffres dévoilés en décembre 2016 par les Affaires étrangères chinoises en disent long : depuis 2009, le Xinjiang a recruté 90 000 nouveaux policiers et a augmenté de 356 % le budget de sa sécurité publique. «On parle d’un avant et d’un après 2009. C’est le début de la fin pour les Ouïghours»,précise Sabine Trebinjac, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de la question ouïghoure. Ce tournant de 2009 souligne également l’avènement «d’arrestations arbitraires, d’internement de masse et de disparitions forcées».

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Aujourd’hui, selon plusieurs témoignages publiés, y compris dans Libération, de nombreux Ouïghours sont sans nouvelles de leurs proches. D’après Amnesty International, «un million de personnes, musulmanes pour la plupart, seraient détenues dans des camps d’internement au Xinjiang». La Chine, qui niait l’existence de ces lieux jusqu’en octobre 2018, vante désormais des «camps de formation professionnelle» non contraignants et invoque une lutte acharnée contre le terrorisme, dans le contexte d’une recrudescence internationale ces dernières années, couplée à des attentats ponctuels revendiqués par l’organisation terroriste du Parti islamique du Turkestan (PIT).

Valentin Cebron

La source: liberation.fr

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